Beltan 2024 à Kerantorec

Printemps à Kerantorec

Le premier printemps que j’ai vécu à Kerantorec était le printemps 1984, il y a quarante ans que je gère seule ma chaumière et le terrain autour.

Le premier iris du faite de toit planté en avril 2020 par le chaumier Erwan Harnay de Bannalec

Mon histoire avec les parcs et les jardins est ancienne. Aussi loin que je me souvienne, j’ai eu ce contact avec la terre. J’ai toujours vu mes grands-mères et mes parents faire leur jardin. J’ai fait mon premier jardin à l’âge de 5 ans, à la Gare de Moëlan, auprès du parc de la peintre Cécile Ravallec, dont les grands arbres m’inspirent encore. J’ai découvert les grands parcs anglais quand j’avais 11 et 12 ans. Plus tard, quand j’ai eu mes filles aînées, j’ai appris le potager auprès des vieilles personnes du village du Bosc en Ariège dans les années 70.

Mais c’est depuis que je gère Kerantorec et que je note et documente tout ce que j’y réalise que j’ai affermi mes compétences. J’ai quarante ans d’observation et de gestion de mon domaine. Je suis en mesure de transmettre mes connaissances et de témoigner de la résilience de la nature quand on la respecte.

Le résultat va bien au-delà de mes espérances. Les plantes se protègent les unes les autres en toutes saisons et sont d’une générosité euphorisante. J’ai acquis une santé que jamais je n’aurais cru possible autrefois, qui me permet de bien vivre sur ma terre, avec les poules, les abeilles, les plantes nourrissantes et médicinales, les arbres fruitiers et les grands arbres majestueux, entre des talus millénaires. Les grandes pierres des mégalithes nous donnent le sens de la relativité. Nous sommes un maillon de la chaîne et chacun a sa place dans l’évolution.

Les premières années vécues ici ont été difficiles. Ce sont les années les plus dures de ma vie. Mes choix d’indépendance ont été chèrement payés. Mais c’est là que je me suis formée spirituellement et philosophiquement. J’ai rencontré les druides et étudié un temps leur enseignement. Je n’ai pas suivi leur obédience, mais j’ai conservé quelques rituels que je pratique toujours comme celui des feux de Beltan, parce qu’ils correspondent à ce que j’observe au quotidien, au fil des saisons de la nature qui me porte et me nourrit.

Beltan (1er mai) fête le cycle de la lumière et de la vie dehors jusqu’à Samain (1er novembre), début de l’année celtique avec le cycle de l’ombre et de la vie intérieure.

Les dernières années depuis 2020 m’ont permis d’agrandir la propriété et de créer un domaine selon mes visions, mes intuitions, mes connaissances du terrain, mes critères esthétiques et mon éthique de gardienne de la terre. Je marche dans la beauté et chaque regard apporte son étincelle d’émerveillement. Chaque pas est un enchantement permanent. J’ai le sentiment d’être à ma place, au bon endroit et au bon moment.

Ma pratique agricole

En 1970, alors que je faisais des études de sociologie de l’agriculture, entre autres sujets, je rêvais d’être ouvrier agricole l’année suivante. Je voulais sortir des études théoriques pour vivre la réalité du terrain. J’admirais Bernard Lambert, qui gérait sa ferme et son élevage de poulets à Teillé en Loire-Atlantique et qui venait d’écrire un livre : Les paysans dans la lutte des classes, Le Seuil, poche, Paris, 1970, sur son expérience de syndicaliste agricole et de militant politique du PSU avec Michel Rocard et Serge Mallet, qui était mon professeur de sociologie politique à la fac de Vincennes. Je l’ai écrit dans mes cahiers de l’époque, publiés sous le titre Clandestine 70.

Je remercie la vie de m’avoir apporté la réalisation de mon ambition d’alors. Je suis certes la propriétaire de ce domaine breton, à la suite de mon arrière-grand-père, Martial Le Doze, dont j’ai pu recréer une parcelle d’origine de ses propriétés. Je suis surtout l’ouvrier agricole de mon terroir, au service de la nature. Je suis assistée d’un régisseur compétent et efficace, le jardinier Romain Dantec, qui sait matérialiser les idées qui me viennent en observant l’évolution des plantes et des zones que nous créons, pour mettre en valeur la diversité et la richesse des biotopes.

En 2020, nous avons refait le talus qui borde le champ voisin, créé une aire de van qui a pu accueillir des nomades en van ou caravane, arrêtés dans leur élan sur les routes par les confinements. Une cabine sanitaire y a été faite avec des toilettes sèches. Nous avons monté un poulailler, créé un rucher, organisé un parc, agrandi le verger, fait des haies sèches pour séparer les zones.

En 2022, nous avons creusé une mare, très vivante.

La mare en fin d’hiver au coucher du soleil

Nous préparons un nouveau projet : un petit vignoble de vins de cuve. Nous prévoyons aussi une serre enterrée, pour ne plus connaître les désastres de la tempête Ciaran sur les serres maraichères du coin.

Projet en cours : préparation de ma succession

Mais le plus grand projet, celui qui m’anime en ce moment, peut intéresser nombre d’entre vous qui me lisez, c’est la préparation de ma succession.

Je souhaite qu’elle soit la plus simple possible pour mes filles, « quand je fermerai les yeux », comme l’a dit si délicatement Maître Boillot à qui j’ai demandé conseil.

J’écris l’histoire de mon village.
Couverture @AdamMolariss
Peinture d’Erhard Bardt 1990 avec Yves Samson devant la chaumière (le toit a été refait en ardoise en 2019 par l’équipe de Pascal Audren, couvreur à Clohars-Carnoët)

Je travaillais cet hiver à mon livre Kerantorec, un domaine breton, quand j’ai étudié les actes de propriété des ancêtres. Chaque génération avait fait donation à la suivante. Le seul à avoir fait un testament était notre grand-père Louis le Doze et ses familles se sont déchirées pendant plus de deux décennies. Pour éviter ces drames, mes parents avaient fait à mes frères et sœur une donation-partage en 1977 et nous n’avions rien eu à payer à leur décès en 1984 et 1986. Je souhaite qu’il en soit de même pour mes enfants.

La solution : une donation en démembrement de propriété

J’ai décidé de faire à mes filles une « donation en démembrement de propriété ». Le terme est un peu dur, il m’évoque les tortures de l’Ancien Régime, mais le résultat est efficace.

À mon âge de 78 ans, je garderai 30% d’usufruit et mes trois filles auront les autres 70% en nue-propriété. À partir de mon 81ème anniversaire, en 2027, les frais seraient plus importants.

L’âge le plus intéressant pour faire une donation en démembrement de propriété est 50 ans, quand les droits sont partagés à 50%.

L’usufruit ne changera rien à mon mode de vie, je restera habiter ici, j’entretiendrai et améliorerai le domaine, je paierai les charges et pourrai en tirer des revenus.

Le démembrement prendra fin au décès de l’usufruitier : le nu-propriétaire devient l’unique propriétaire du bien sans droits de succession à payer. Dans le cas de mes trois filles, elles seront propriétaires en indivision.

Lorsque j’ai vu mon notaire, Maitre Boillot de Moëlan-sur-mer, si j’avais eu l’argent pour payer les frais, circa 6 500 euros, j’aurais demandé tout de suite la rédaction de l’acte.

Mais je vis avec une retraite de moins de mille euros, complétée par mes royautés d’écrivain de guides pratiques et de mémoires, qui ne sont pas des best-sellers : mes guides informatiques intéressent quelques auteurs francophones pour accoucher de leurs projets d’écriture et mes cahiers sont plus du genre films d’art et essai que films grand public. Quand j’ai un peu d’argent d’avance, je le consacre aux salaires de mon jardinier pour entreprendre quelques travaux d’importance avec du gros matériel pour continuer les aménagements du domaine.

Un vide-maison pour financer la mutation

J’ai donc décidé d’extraire quelques trésors de mes collections, dans les affaires conservées ici depuis que j’habite ma chaumière. Je vais proposer à la vente des objets, des vêtements vintage, des livres, des tableaux, des dessins, pieusement conservés.

Ce qui a été assez précieux pour moi pour que je le garde, l’entretienne et l’utilise depuis quatre décennies, le sera aussi pour quelqu’un qui me lit, me suit sur Internet depuis 1997, quand j’ai publié mes premiers articles et mon unique roman de jeunesse Aquamarine 67, ou qui échange avec moi sur Facebook depuis 2008.

Mes filles viennent de commencer un tri dans leurs propres affaires et c’était plus joyeux de le faire de mon vivant qu’après ma mort.

Je mettrai à disposition ce dont j’accepte de me séparer maintenant. J’ai des trésors.

La collection Samson

Certains dessins d’Yves Samson (1953-2006), mon dernier compagnon, n’ont jamais été vus ! Les seuls dessins qu’il a exposés l’ont été en 1981 au Ministère de la Mer à Paris, sous l’égide du premier ministre de la mer, notre député Louis le Pensec. Les collectionneurs des laques d’Yves Samson des années 1980, 1990, 2000, peuvent avoir envie de le retrouver dans son expression graphique profondément celtique.

Le catalogue raisonné est fait. Il me faut organiser toute une logistique, mais dès le 1er mai, j’exposerai quelques-unes de ses œuvres.

Quand j’aurai pu payer les frais de mutation au notaire, que nous aurons signé la donation en démembrement de propriété, je pourrai avoir l’esprit libre et me consacrer à mes écritures, une des priorités de ma vie, avec la restauration du domaine de Kerantorec, qui est mon dernier Grand Œuvre.

Le Saint-Joseph d’Yves Samson ou le Passeur d’âmes (1991)

Invitation à Beltan 2024 le mercredi 1er mai à midi avec pique-nique partagé dans la prairie

Kerantorec est un lieu à part, une bulle, une oasis. J’ai longtemps gardé secrètes mes recherches et réalisations, aimant vivre en ermite à mon rythme. Mais c’est aussi un devoir de transmettre les choses positives.

Je peux, depuis la fête de Beltan 2023, montrer le résultat de mon travail sur le domaine, fait avec mon jeune jardinier Romain Dantec, de Clohars-Carnoët.

Aussi ce nouveau 1er mai 2024, j’invite à venir allumer deux feux dans la prairie et à brûler symboliquement ce que nous ne voulons plus dans nos vie. Nous passerons entre les feux, avec nos animaux, pour protéger les troupeaux.

L’allumage se fera le mercredi 1er mai à midi. On peut donc venir après la manifestation !

Ensuite, nous ferons un pique-nique partagé, c’est-à-dire que chacun apporte un plat qu’il aime et le partage avec les autres.

Que la version 2024 marque nos mémoires et nous donne la force de continuer nos projets !

Beltan 2024

Marie-Hélène Le Doze, dite Gaelle Kermen

Kerantorec, le 20 avril 2024

Courriel : kerantorec@icloud.com

Liens

Lien sur la donation en démembrement de propriété https://www.inter-invest.fr/guides/immobilier/donation-nue-propriete/donation-en-demembrement-avantage

Lien sur Bernard Lambert

https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00096/bernard-lambert-porte-parole-du-syndicat-des-travailleurs-paysans.html

Liens sur l’œuvre d’Yves Samson (1953-2006)

https://www.flickr.com/photos/gaelle_kermen/collections/72157623165106762/

Dernières Semailles avant Samain

En ce 31 octobre 2022, je suis à jour dans mes chantiers de semis de céréales et d’engrais verts sur couvert végétal.

J’ai commandé des semences sur le site de Germineo, le 17 octobre, je les recevais le lendemain, le mardi 18.

J’ai éprouvé une grande jouissance quand j’ai ouvert les deux sacs de graines de Germinéo. Certaines graines avaient commencé à germer et me faisaient penser à des spermatozoides. Je plongeais mes mains avec délices dans la promesse de vie.

Je n’ai pas attendu trop longtemps avant de les jeter du geste auguste de la semeuse sur les zones de mon domaine, selon leur état et leur destination. Les pois fourragers ont été mis plutôt en parterres d’ornement et dans le verger et les céréales ont été semées dans les zones grandes en intervalle.

Lorsque j’avais fait visiter à mon jeune jardinier, Romain Dantec, le domaine lors de mon acquisition de la parcelle de mon frère Bruno, décédé trop tôt, je lui avais dit que je voulais y mettre des céréales. Lui voyait du gazon partout pour pouvoir faire joujou avec son tracteur-tondeuse. Moi, je voyais une terre précieuse à cultiver. Depuis que j’ai des poules et des abeilles, l’idée est encore plus évidente, a fortiori depuis qu’on nous annonce une pénurie de céréales, moutarde, etc.

Le premier hiver 2020/21, j’ai fait des essais avec un mélange automnal d’avoine, colza fourrager, vesce velue, seigle, sur des parcelles au terrain préparé, semé, roulé. J’avais fait les choses à l’ancienne. Tout était « propre » !

Le printemps 2021, j’ai fait un autre essai sur un terrain où il y avait beaucoup de ronces et d’orties, le long du muret nord en semant du sarrasin, sans travailler le terrain avant. Le résultat était aussi bon, sinon meilleur, que celui du premier essai.

L’été 2021, j’avais de beaux semis de moutardes et de phacélie pour les abeilles.

Je n’ai rien fait l’automne 21, j’ai laissé les graines tombées au sol se ressemer où elles le voulaient.

J’avais paillé mes parterres pour l’hiver avec la paille d’orge de mon voisin agriculteur et au printemps 2022, de nombreux plants d’orge parsemaient les parcelles potagères où les poules trouvaient à picorer directement sur pied les grains à maturité. Ce qui leur évite de déranger mes cultures.

Mes observations perpétuelles de mon terroir m’ont convaincue que la nature a horreur du vide et sait se protéger elle-même. J’ai vu arriver des plantes protectrices du sol pendant les grandes chaleurs et je peux dire que les plantes n’ont pas souffert dans le biotope que je gère. J’en arrive même à me dire que le lieu bénéficie d’un micro-climat tant mes constatations sont éloignées de ce que ce peut lire sur la sécheresse et le réchauffement climatique.

J’observe avec émerveillement au long des saisons la façon dont les graines se ressèment elles-mêmes. Elles ne vont pas forcément sur les zones de terre nettoyée. Non, elles se serrent avec bonheur les unes contre les autres et chacune trouve sa place. Bien sûr, parfois, certaines plantes se comportent comme des impérialistes, mais avec ma méthode de tonte sur les semis, elles sont rabattues et ne reviennent pas, remplacées par les céréales et engrais verts.

Je me souviens que les ronces repartaient alors que les plants de sarrasins émergeaient de terre au printemps 21. A un moment donné, j’avais dit à Romain : « Il est temps de tondre, pour ne pas abîmer les plants qui poussent ». Et ça avait marché.

Lors de la dernière tonte, j’ai pu constater que j’avais neutralisé la pousse sauvage des ronciers qui encombraient ce lieu il y encore deux ans et qui me prenaient beaucoup de place, cachant le joli muret nord que je veux mettre en valeur.

Aussi, cet automne 2022, je fais le pari de semer sur un terrain tondu il y a trois semaines, dont l’herbe a vite repoussé, sans le travailler du tout. Je sème sur herbe et feuilles mortes.

Une nouvelle tempête était annoncée.

Depuis hier, j’ai donc semé 25 kilos de pois fourrager, 25 kilos d’un mélange avoine-seigle et 10 kilos de blé. Au lieu de semer du gazon, je sème des graines qui vont nourrir les abeilles, les poules, les oiseaux, les chevreuils, et nous, si cela est possible.

La tempête est arrivée, la force de la pluie va permettre aux graines de s’enfoncer dans la terre déjà bien humide des pluies précédentes. Je tondrai dès que le beau temps reviendra, avant que les herbes de l’ancienne prairie soient trop hautes et dures. Ainsi les graines seront paillées naturellement par l’herbe et les feuilles mortes broyées.

J’ai fini mes dernières semailles en ce dernier jour de l’année de la lumière druidique. Mon voisin agriculteur se pressait aussi à faire les siennes. Il labourait et semait dans la foulée, tandis que je terminais mes derniers parterres avec les pois fourragers dont les fleurs attireront les abeilles quand elles sortiront d’hivernage.

Demain nous fêtons la Toussaint pour les catholiques, la Samain pour les celtiques. Demain commence l’année de l’ombre, qui permet de rentrer en soi, de méditer sur nos projets de vie.

En cette Fête des morts, je rends grâce à mon arrière-grand-père Martial le Doze qui cultivait ce domaine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, en cherchant des solutions innovantes pour amender les terres. Je cherche à sa suite des solutions humaines et simples pour valoriser les richesses qui m’entourent. Je rends grâce à mes parents, à mon frère Bruno et à mon dernier compagnon Yves Samson. Leur présence est toujours dans les arbres qu’ils ont plantés, que je conserve et complète. Les jardiniers sont immortels.

Bonnes fêtes de Toussaint

Bonne fête de Samain

Bonne nouvelle année druidique

Gaelle Kermen, le 31 octobre 2022

Kerantorec